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CHRONIQUES

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- Télévision

J’adore la télé. C’est une fenêtre ouverte sur le monde. Voilà pourquoi je ne l’allume jamais. Ca fait trop de courants d’air. Cependant, rien que de la voir, muette comme un aquarium, son gros œil cyclopéen glauque et fermé,  me voilà satisfait, rassuré. Et la petite lumière rouge, au bas du poste, me rappelle, comme la veilleuse du tabernacle, sa présence quasiment spirituelle. De surcroît, nul besoin de se mettre à genoux, une simple pression sur la télécommande suffit à provoquer de subites apparitions. En vérité je vous le dis, la télévision est un miracle perpétuel. Il n’est guère d’amours qui comptent d’aussi longues passions, qui sachent accumuler autant d’heures contemplatives, autant de rendez-vous, qui des années durant mettent sur les visages la même expression de béatitude.
Imaginez donc un instant la vie sans téléviseur. Une monotonie insupportable dans le non évènement des immeubles et des pavillons. Un ennui abyssal entre les mariages, les décès, les naissances, les baptêmes et les communions. Un laisser pour compte inacceptable dans la marche du monde. Car, le téléspectateur, chaque jour, est convié à la table des dieux. Rien qui ne semble lui échapper, sinon l’essentiel. Rien dont il ne se tienne pour informé, dont il ne puisse se repaître, rêver, rire, et pleurer.
Prenez par exemple les journaux télévisés, livraisons à domicile des échos planétaires. Confiné dans votre salon, telle une volaille de luxe, genre chapon, la fesse au moelleux du canapé, la bière sur la table basse, vous embarquez pour une balade planétaire. Vous goûtez,  comme on fait des petits fours, au plateau des nouvelles que tend le présentateur, dûment cravaté, le sourire avenant ou la mine compassée. C’est selon. Une sorte de clown au nez clignotant de sérieux labellisé, ou de gaîté mesurée, ou de tristesse apprêtée. C’est suivant.
 Le téléviseur crépite avec les kalachnikovs, hurle avec les manifestants, gémit avec les blessés, pérore à la place des morts, chante les victoires, vide les urnes électorales, regarde les méchants taper sur les  gentils, flotte dans les inondations, dégoutte de sang, bourdonne sur les cadavres. Le téléviseur, voix réductrice et partisane de tout discours, de toute clameur. Fournisseur officiel du sous-vide informatif à consommer en quatrième vitesse, avant que ne tombe le suivant, plus frais, plus gros, plus saignant.
Heureusement, il y a le sport et les séries. A condition évidemment d’aimer le sport et les séries. Sinon, vous avez la politique, à moins de considérer qu’elle relève du sport de combat, et des mauvaises séries. Ou les potins du gotha : le prince Albert reconnaît sa fille. Et arrêtez de dire que la télé rend très crédule et un peu con. Ce n’est tout de même pas une religion.
Et puis, si vous êtes trop difficile, regardez par la fenêtre, sortez sur le seuil prendre l’air béni du soir. Chez le voisin, la télévision braille derrière la porte. A l’étage, un couple s’engueule. Un bébé crie. Dans l’ombre deux ados s’embrassent.
Un oiseau attardé traverse le ciel. L’océan murmure sous les étoiles. La vie est là. 

 

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit