- Rions mes frères
Le rire est à l’homme ce qu’il ne saurait être aux animaux qui restent d’une gravité à tout épreuve. Dieu merci, ce n’est pas notre cas, à part de mornes individus que la nature semble avoir oubliés dans ce don miséricordieux, ou que les malheurs de la vie ont rendu réfractaires à toute hilarité. Le rire est donc le propre de l’humanité, privilège qu’elle paie assez cher, car cette fonction fugace ne fait que la distraire d’une vie pleine de tourments.
La physiologie du rire n’est pas des plus complexes. Mais cette mécanique met en mouvement quelques muscles qui se prennent au sérieux : risorius de Santorini, zygomatiques, buccinateur…L’excitation, qui parfois ébauche un simple sourire, peut ébranler tout l’organisme, agitant les épaules, comprimant la masse intestinale, faisant couler les larmes, allant jusqu’à libérer l’urine chez la femme dont les sphincters prolongent les subtiles délicatesses (d’où l’expression pisser de rire, généralement dans sa culotte). Quand les saccades respiratoires inhérentes à cet exercice provoquent des bruits divers, hoquets, grognements, couinements, hurlements, toute une gamme d’éclats convulsifs échappant au self-contrôle. Et qu’il soit ridicule, gras, cristallin, métallique, vulgaire ou farouche, le rire reste très contagieux.
Des études scientifiques tendent à prouver ce dont tout le monde se doutait un peu : il vaut mieux rire que pleurer. Rions mes frères. Qu’on s’esclaffe, se boyaute, se bidonne, se torde, se gondole, se poile, se dilate la rate, se fendre la gueule, c’est bon pour la santé. Surtout pour le système cardio-vasculaire. Rions donc de bon cœur, car l’infarctus du myocarde n’est pas trop du genre à plaisanter. Notez encore que les soubresauts de votre diaphragme font faire une gymnastique salutaire à vos poumons et organes abdominaux. C’est bien connu, les boyaux aiment à faire l’andouille.
Les psychanalystes, qui ne s’éclatent pas tous les jours, voient le rire comme un processus de défense, « une sorte de réflexe de fuite dont la tâche est de prévenir la naissance du déplaisir » disait Freud, que certains plaisantins font passer pour l’inventeur du canapé. Le plus fauché pourra s’offrir une séance quotidienne de psychothérapie poilante avec ses collègues ou ses potes. La vie, vous dis je, c’est à mourir de rire.
Pour ma part, lorsque j’en ai assez de rire de moi-même, je me tourne vers mon prochain. J’ai cependant un principe : ne jamais me moquer de politiques. Ce sont de grands philanthropes nourris d’ingratitudes. Quand le premier ministre passe à la télé, c’est la France qui nous regarde. Et avouez qu’il n’y a pas de quoi rigoler.
Enfin, le rire est un grand séducteur. Non pas qu’il mouille les culottes, mais parce qu’Eros goûte plus aux gaietés qu’aux plaintes énamourées. Faites rire une femme, il n’est pas de porte qu’elle ne finisse par vous ouvrir. Car si l’amour adore les joyeusetés, il déteste conséquemment les pisse-froid, fesses pincées et culs serrés. Messieurs, méditez cette vérité : Vénus répugne à regarder les compassés… |