- Rondeurs
« La terre est ronde pour ceux qui s'aiment » disait Jean Giraudoux. A l’image bien sûr d’un amour qui tourne rond. Car la platitude ne sied pas plus aux planètes qu’aux choses amoureuses. Qui donc imaginerait la terre comme un disque raboteux ? Et quel amant irait chercher la volupté sur des chairs aplaties ?
Rien qui ne réponde d’avantage aux globes, aux cercles, aux anneaux des astres, à leurs cycles erratiques, que le corps féminin. Arrondi des épaules, sphère des seins, arc du bassin, cambrure des reins, rebondi des fesses, renflement du ventre, fuselage des cuisses. Chef-d’œuvre courbe et minuscule sous la voûte infinie.
Hélas, l’époque boulimique porte aux canons de la beauté la silhouette décharnée. Après tous ces siècles de volumes prospères, de gorges débordantes, d’assises épanouies, il est venu le grand carême ! Le bal des carcasses, la danse des efflanquées. Le règne avare de la droite osseuse et de l’angle obtus. Comme si, au pied du corps monumental, on en admirait plus que l’échafaudage.
40 kg pour 1,74 m…Bien assez lourd pour un escabeau ; ou bien trop haut pour une motocyclette ; mais top du top pour un jeune mannequin mort en Bolivie. Après l’affaire des modèles de « minceur extrême » empêchés de participer à un défilé espagnol, ce décès a relancé la polémique quant à l’influence de la mode sur les tendances anorexiques développées chez nombre d’adolescentes. La presse internationale en a fait naturellement des kilos. Maigre consolation, vous ne trouvez pas ?
La rondeur ne manque pourtant pas d’attraits. Caractérisant ce qui est rond, elle est encore l’expression du plein, du satisfait, du confortable, du pulpeux. On ne compte pas ses largesses, ses douceurs et ses audaces. Sensuelle, voluptueuse, elle a des séductions de diablesse. Toutes ces vertus sont à la hauteur de ses appétits. Comme une main cueillant un fruit, puisant à la fontaine, se posant sur un genou, qui toujours s’arrondit. Qui ouvre ses doigts en coupe et en caresse pour mieux réclamer son dû. Ainsi le rond des lèvres donne et cherche un baiser. La vie, quoi ! Qui bouffe, qui chante et qui jouit.
Ne dit-on pas d’un vin qu’il est « rond » quand il vous remplit la bouche avec les grâces et les plénitudes d’un derrière épousant le fond d’un fauteuil, sans que son galbe ne trahisse ni sa charpente, ni sa toute puissance. Et poursuivant cette métaphore adjective, on n’hésite pas à dire ou médire de quelqu’un qu’il est « complètement rond » (comme une queue de pelle) c’est à dire cuité, bourré, pété.
Mais certains crus peuvent avoir « de la cuisse », leurs trop fluides rotondités ne savent que porter à de mornes ébriétés. Quand les plus exquises ivresses nous viennent des rondeurs du beau sexe. Des vertiges convexes. |