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CHRONIQUES

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- Antibiopathétiques

L’autre jour, pendant la pause, une collègue de travail nous parlait de Darius, son chat. De gros problèmes de santé semblaient devoir l’emporter au seuil d’une autre vie de béatitudes. Ma collègue, n’accordant aucun crédit à la métempsychose qui, comme vous le savez, promet la réincarnation dans un autre corps, montrait tous les signes d’un profond désarroi.
            Ayant, je le confesse, un cœur assez tendre, le malheur de mon prochain y enfonce prestement le clou de la culpabilité. Et ma nature bienveillante d’aussitôt s’alarmer, comme ces bonnes sœurs, infirmières de collège, qui calmaient nos petits maux avec un sucre trempé dans l’alcool de menthe.
            J’aime encore apporter des solutions aux problèmes, à condition qu’ils ne regardent pas l’arithmétique. Aussi, devant son impuissance à trouver quelque solution que ce fût, je crus bon de lui faire une suggestion, adaptée à d’aussi funestes circonstances.
 Le chat, en quelque sorte, était aux abois. Devait-on pour autant le laisser crever comme un chien ? Je proposais donc une prompte euthanasie qui saurait le délivrer de souffrances inutiles. Et, je ne sais pourquoi, il m’échappa un de ces propos qu’un auditoire juge immédiatement déplacé, et qui fit s’abattre autour de nous un pesant silence :

-Pourquoi n’en fais-tu pas du pâté ?

Une telle idée ne me serait jamais venue à l’esprit si je n’avais pas su son mari cuisinier. Or, à travers la réprobation générale, où je remarquai l’œil étincelant d’une consoeur sociétaire de ligue animalière, celui non moins meurtrier d’un confrère végétarien, la digne maîtresse du chat rétorqua vivement :

-Impossible, le vétérinaire l’a bourré d’antibiotiques !

Les médicaments ne fraient guère avec la charcuterie. Alexander Fleming ne pouvait pas être à la fois éminent microbiologiste et grand cuisinier. Il  découvre accidentellement, en 1929, l’action inhibitrice de la moisissure verte qu’il baptise pénicilline. Il la propose alors comme simple antiseptique. Dix ans plus tard, on s’en sert pour combattre de graves infections. Le 12 février 1941, un policier d’Oxford, atteint d’une septicémie, est le  premier  miraculé. Après tout ce mauvais sang, il dut sacrément fêter la saint-Valentin.
 Aujourd’hui, la pharmacopée dispose de 10 000 substances naturelles  antibiotiques, dont 80%  sont d’origines bactériennes, le reste de sources mycéliennes. Mais cette panacée, dont l’humanité attendait qu’elle éradiquât toutes les maladies, rencontre d’alarmantes résistances infectieuses. Des fléaux, comme la tuberculose et la syphilis que l’on croyait à jamais disparus, remontrent leurs méchantes bobines. En effet, l’emploi massif de ces médicaments a provoqué une mutation des bactéries pathogènes, l’antibiothérapie devenant de moins en moins efficace.

Les animaux n’échappent pas aux microbes revanchards.  Darius est mort ce matin. Cette fois, j’ai tenu ma langue. Mais j’avais tout de même bien envie de lui dire que les antibiotiques avaient d’autres chats à fouetter.

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit