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CHRONIQUES

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Quand j’entends prononcer le mot appareil, quelque soit le sens où il est employé, je pense à ma tante. Cette paysanne, ridée comme une vieille pomme, avait perdu toutes ses dents au cours d’une vie qui manquait un peu d’hygiène buccale. Mais au contraire de son homme -qui vécut jusqu’à cent ans et qui, malgré ses trois chicots branlants, ne voulut jamais entendre parler de dentiste, encore moins de râtelier- ma tante affichait un semblant de  coquetterie féminine qu’attestaient ses tabliers fleuris, ses mises en plis épisodiques, le port exceptionnel dune bague de fiançailles, de bas épais couleur chair de foie gras, et celui d’un appareil dentaire qui me fournit l’entrée en matière de cette chronique. Je la revois à table, après le fromage juste avant de servir le café, sorte de pissat brunâtre qu’on buvait dans les verres en pyrex, sortir ses fausses dents et, avec la pointe d’un couteau, gratter les débris d’aliments qui ne manquaient pas de s’y coincer. Mais elle avait fort heureusement assez d’éducation pour se retenir de curer son dentier devant les étrangers. Enfant, j’eus bien quelque doute sur la bienséance de cette exhibition, mais je n’en fus jamais choqué. J’aimais ma tante et ses fausses dents de fête foraine.
Au vu des autres appareils, je ne regrette rien. Vous m’imaginez, à l’énoncé du mot, songer à l’appareil d’un parti politique ? Autant penser à des anciens ministres quand on vous parle d’éléphants. J’aimerais mieux encore que défile la cohorte vrombissante des appareils ménagers, frigo trépidant, micro-ondes ronronnant, mixer hachouillant, cafetière crachotante, bouilloire frémissante, aspirateur asthmatique. Ou voir passer l’appareil orthopédique d’une petite vieille qui habitait près de chez mes parents C’était mademoiselle Hortense. Elle claudiquait sur une chaussure énorme à semelle prodigieusement épaisse, car elle avait le pied tordu et la jambe trop courte. « Quatre et trois, sept ! » disait mon père, comme il faisait à chaque fois qu’il croisait un boiteux. Lui qui, aujourd’hui, à près de 96 ans, sourd comme un pot, porte un appareil auditif.
Notre époque formidable ne manque pas d’appareils. A vrai dire, elle n’a pas sa pareille pour appareiller, brancher toujours de nouveaux bidules. Et qu’on ne nomme même plus du nom ringard d’appareil. L’appareil photo fait figure d’ancien combattant à côté des baladeurs, téléphones, radios, équipements de toutes sortes. Il ne reste guère que l’appareil digestif et ses confrères organiques qu’on continue à trimbaler sans qu’on ait besoin de leur trouver d’autres appellations ou de les tripoter. Mais ce sont des appareillages intégrés.
Non décidément, quand résonne appareil, je revois, sur l’évier de la cuisine, le dentier de ma tante baignant dans un verre d’eau où  fondait un nettoyant effervescent. Enfin, pensais-je alors, elle se lave les dents !
Et, pour tout vous dire – on garde, le meilleur pour la fin- je pense aussi à vous mesdames, toujours plus belles et plus séduisantes. Dans le plus simple appareil, évidemment.

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit