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CHRONIQUES

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- Chapardages

J’aime à me promener la nuit, quand les pas résonnent dans le vide des rues et que les ténèbres, par-dessus les lampadaires, roulent leurs immensités. La ville, dont le jour grandissait les murs, rabat de sa superbe. Ses monuments, qui ont perdu leurs ombres, se tassent, ou tentent de se hausser comme  sur la pointe des pieds. Ses toits les plus pointus, qui accrochaient le ciel, ont fondu dans l’obscurité. Alors, elle semble vous appartenir. Et si d’aventure on croise un dernier passant, on le toise comme un intrus dans les allées de son jardin.
La nuit, qui ensommeille, réveille le voyeur caché au fond de nous. Quasiment invisible, on marche, chapardant aux fenêtres éclairées. Les télévisions bousculent un peu partout leurs saccades bleutées derrière des vitres d’aquarium. Des tablées se regardent en silence. Des lustres pendent leurs breloques, des étagères entassent leurs fatras. Des silhouettes passent et repassent. Au plafond d’une mansarde, des ombres s’allongent.  Dans une chambre, une lampe tamisée. A travers des grilles, une baie où une femme nue, levant des bras de danseuse, tire ses rideaux.    
Voir sans être vu. Ainsi observe-t-on ceux qui regardent ailleurs, ceux qui laissent à deviner un peu de leurs secrets. Ceux qui ne ferment pas leurs volets. Ceux qui ouvrent grand leurs fenêtres. Ceux qui aiment à ce que s’attarde sur eux le regard des autres. Ceux qui croient échapper aux indiscrets.
A la terrasse des cafés, les têtes d’hommes pivotent, comme aimantées par les passantes. Le nombre assure encore l’immunité. Les mâles guignent les femelles. Les corps n’ont pas de nom, pas de visage. La chair anonyme ne sait réclamer que des hommages libertins, des regards illicites que fait briller le plaisir du larcin et qu’embrase le phantasme.
Le face à face et la moindre assemblée rétablissent les civilités. Alors, la bonne éducation commande de détourner les yeux des petits spectacles interlopes qu’offrent les échancrures, les décolletés, les jupes fendues, écourtées. Quand certaines poses, abandons, distractions ou  coquines invitations découvrent des fragments de dessous, exposent des parcelles intimes à la peau plus douce, au duvet plus soyeux.
 Petites fleurs des soutiens-gorge dans la serre lâche des corsages, écumes des culottes débordant des pantalons. Calculs indécents des hauts trop courts, des bas trop moulants. Complots mutins des cuisses avenantes, des fesses rebondies, des seins indociles. Tous, instants furtifs, concentrant dans leur brièveté leurs essences érotiques, comme un parfum capiteux, un mets très épicé. Tous, impossibles convoitises. Tous, chapardages dûment provoqués et secrètement consentis.

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit