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CHRONIQUES

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- Petitesses

L’autre jour j’étais au petit guichet d’une grande administration. On ne se sent pas grand chose devant ces hygiaphones qui filtrent vos mots, sans doute chargés de miasmes répugnants. Et on se sent encore moins que rien quand, derrière la vitre épaisse, on croise les yeux suspicieux du fonctionnaire de service qui flottent dans cet aquarium à la façon de deux piranhas. Ca ne donne guère envie de coller son nez contre la paroi.
Là, siégeait une dame d’âge mûre, casquée d’une mise en plis, la lèvre pincée, le regard vide, braqué sur moi tel un caméscope. Je songeai qu’elle ne me voyait pas ou que sa vue me traversait aux rayons X. Elle devait contempler ce que j’avais dans l’estomac comme un curé, à confesse, reluque ce que vous avez sur la conscience.
Ce buste s’enquit soudain de ce qui m’amenait, par la grâce du haussement de l’un de ses sourcils que je remarquai épilé, étant un homme de fine observation. Peu importe les motifs de mon pèlerinage au pied de cette déesse héraldique ; ce ne sont pas vos oignons. Je vous ferai par contre la faveur de partager mes réflexions acides à l’égard d’un mot, qu’elle paraissait goûter comme un bonbon, au cours avare de sa conversation.
« Petit papier », « petit document », « petit justificatif », « deux petites photos », trois petites signatures », « quatre petites photocopies », voilà un petit extrait de ce qui me chatouilla la couenne, ces adjectifs répétés jusqu’au bouquet final « repassez donc dans un petit moment ». Les piqûres obstinées d’un moustique n’auraient pas produit d’effet plus urticant. Et avant qu’elle ne me donne du « au revoir mon petit monsieur », je lui lançai, comme on crache un noyau de cerise, un de ces « bien le bonjour ma petite dame » impertinent et revanchard.
Il ne manque pas non plus de commerçants qui vous font des « petites notes », de gens qui vous demandent un « petit geste », de péquins qui vous réclament une « petite pièce », de femmes qui ont pris quelques « petits kilos », d’hommes qui se permettent une « petite infidélité », d’amis qui font une « petite déprime », de voisins encombrants qui vous invitent à un « petit-barbecue », de collègues qui organisent un « petit arrosage ». Et de banquiers sadiques qui prennent plaisir à vous appeler pour un « petit découvert ».
Vous l’avez compris, j’en ai ma claque de ces petitesses. De toutes ces petites choses, broutilles, misères, affaires, plaisanteries, de ces petits ennuis, désagréments, boulots, gueuletons, petits déj, petits-fours, petits-pois, petits-beurres, petits-cousins, petits-bourgeois. Jusqu’à ma petite amie qui a décidé de faire un « p’tit break ». Je sais ce que vous allez me dire. Un grand amour se construit petit à petit. D’ailleurs, c’est une brave petite femme ; la seule a m’avoir traité de grand con.

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit