- La Poule
Ce n’est pas une tête d’œuf de technocrate qui vient de pondre le « contrat poule ». C’est sans doute pourquoi ce nouveau protocole, imaginé par un éleveur dans l’Est de la France, rencontre un franc succès, à peine sorti de sa coquille. En effet, en 15 jours, le brave homme à doubler sa clientèle.
Il fallait y penser. Dans cet élevages de 7000 volailles, vous pouvez devenir propriétaire d’une poule qui, chaque semaine vous fera remettre dûment, et à domicile, six œufs sortis tout frais de son cloaque. Génial, non ? Et ce pendant dix mois. Les pondeuses, c’est comme les enseignants, ça ne prend pas beaucoup de vacances.
A l’échéance du contrat, le sousripteur récupère son bien, c’est à dire le volatile, ou bien frais et dispo, l’œil vif, la plume brillante, ou bien toujours frais et ficelé, prêt à cuire. Cet engagement, à 52 euros, prévoit que vous pouvez à tout moment rendre visite à votre poule pour s’assurer de son bien être, et mettre du lien dans la relation. Ca vaut tous les bouquets garnis. On ne signale encore aucun cas de divorce dans les couples signataires. Evitez cependant de dire à votre épouse, la bouche en cul de poule : « Chérie, après le bureau, je vais voir ma poule .» Et ne dites surtout pas : « Ma poulette, tu vas passer à la casserole ! », avant les transports conjugaux.
Revenons à nos gallinacés. La poule, sous ses airs imbéciles, n’est rien moins qu’une psychopompe. Gamin, j’aurais bien étonné ma grand-mère lui énonçant cette vérité au sortir du poulailler. Mais j’ignorais moi-même que dans certaines tribus, la poule joue un rôle de conducteur des âmes et que, grâce à son sacrifice, on converse avec les morts. A vrai dire, et malgré le respect qu’elle affectait de porter aux gens instruits, mon aïeule s’en serait soucié comme de l’an quarante. Les poules pondaient, c’est tout ce qui l’intéressait.
La poule est bonne mère. Elle jeûne sur ses œufs, promène ses poussins aux abords périlleux, grattant, gloussant, rassemblant sa couvée la plume gonflée d’importance comme un corsage de nourrice. Cependant, ces faits élogieux ne sauraient cacher les effets d’une réputation scandaleuse. Le coq la prend dans la poussière, telle une traînée, la chevauchant hardiment, lui flanquant des coups de bec. Et la poule consent à ce coït sans prélude, sans égards, somme toute peu galant, se relève et poursuit ses affaires. Quelle mère de famille, posant son cabas, se laisserait ainsi trousser puis, rajustant ses jupes, reprendrait son marché ?
Ce ne sont pourtant pas ces mœurs libertaires qui l’ont conduite en prison. Car aujourd’hui, les pondeuse s’élèvent en batterie et en cage individuelle. Quel bonheur d’avoir enfin sa chambre ! Et de pondre 300 œufs en 52 semaines, dans 550 cm2. Sweet homelette, en quelque sorte.
Mais qui oublierait le joli temps des volailles bariolant les chemins ? La poule poussant sur son nid, qui chante au fond du poulailler, ses bruits de gorge dans le silence bourdonnant des siestes, l’été, son œil rond qui nous regarde de profil, fixe et froid sous le chaperon rouge, ses saccades d’automate, et ses crottes moulées comme du dentifrice.
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