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- Clocher

Le clocher doit tout à la cloche. Mais qui, en l’évoquant, n’y verrait girouetter un coq ? On peut se demander ce qu’il peut bien faire là, et à quoi pensaient nos aïeux pour avoir porté au pinacle, sur ce temple de l’amour divin, de la charité, de la tempérance, le vieux symbole de la luxure, péché des plus capitaux.
Le coq, qui après avoir convoqué de son cocorico la timide aurore, passe son temps à grimper sur les poules. Et pendant que ce mâle hypocrite  joue les bedeaux au faîte des églises, ce sont les pauvres gelines qui payent tant d’assiduités  d’une réputation déshonnête.
Le clocher s’en fout. Le coq après tout ne fait que grincer. Alors que la chouette s’obstine à payer son loyer à jets de fientes et à coups de pelotes, salissant les cloches et jonchant le plancher. Mais un bon chrétien se doit d’exiger des explications. Eh bien, en vérité je vous le dis, l’oiseau solaire est là parce que Pierre renia trois fois le Christ, avant qu’il ne vienne à chanter. Et les premiers fidèles, aimaient à s’assembler après qu’il ait coquericoté. C’était un bon réveil pour  expier ce péché avant d’aller bosser.
Aux temps bénis de la chrétienté, on jugea plus sûr de faire sonner les cloches, surtout quand les moinillons devaient quitter leur couche à complies, à matines et à laudes, heures canoniales et noctambules. Perché sur la croix, le coq devrait se contenter d’un rôle prophylactique, éloigner les mauvais esprits. Et la boucler. Lui dont le cri guerrier, le chant de don juan sonnent aux pieuses oreilles, comme un râle orgasmique et comme un reniement.

 

 

- Crotte

La crotte est ce moindre excréta que son dérivé le crottin architecture en des amas plus conséquents. Si l’on en croit l’étymologiste, son usage est d’abord attesté pour les fientes de chèvre, dont le derrière a des précipitations qui crépitent dans la poussière comme pluie de printemps.
            Ma mère était si pieuse que, ne voulant offenser le bon Dieu, elle ne se risquait jamais à dire « merde !». Aussi, se servait-elle de « crotte ! », qui passe pour plus sec, et parfois de « crotte de bique ! », avec une gaieté dans l’œil, lorsque  son impatience n’affectait pas sa bonne humeur.
            Mais en matière de crotte, comme de zoologie, la poule n’est parente ni de la chèvre, ni du lapin, aux boulettes précipitées, ni du cheval ou du mouton, aux crottins empâtés. C’est en se promenant qu’elle lâche, tout en picorant, sans qu’elle semble même s’en apercevoir, son petit paquet fienteux. Car le volatile a la délicatesse de ne point s’attarder sur cette expulsion, comme le font si impudemment les petits enfants et les chats. Elle n’en est ni fière, ni honteuse, ne prenant pas l’air satisfait de l’homme, et encore moins l’air si penaud du chien.
            Je me rappelle, il y a bien longtemps, un jour, dans une cour de ferme, d’une poule qui, près d’une bouse étale, verte, odorante, comme si elle eut voulu rivaliser avec cette œuvre imposante, posa prestement son besoin minuscule.
            La poule a des mœurs défécateurs qu’entretient une nature paisible et discrète, dont l’industrie des oeufs témoigne du savoir-faire. Cette haute technicité la pousse à expulser des crottes dûment conditionnées. Ainsi, en bonne ouvrière, moule-t-elle ses crottes comme du dentifrice.
La poule pudique qui, crottant, le derrière toujours emplumé, ne peut que nous montrer ses fèces.

 

 

- Oeuf

Lorsque, enfant, j’étais en vacances à la ferme, il n’était pas de plus grand plaisir, à part aller chercher les vaches, que de ramasser les œufs. Et je n’ai pas connu  de plus belle découverte que de trouver aux alentours un nid ignoré, caché au pied d’une haie, sous un tas de fagots, entre deux bottes de paille. Et malgré que cette trouvaille fût impitoyablement jetée au fumier (parce qu’on ignorait de quand dataient les œufs), je n’aurais pas été plus fier de rapporter un trésor.
Je sens encore dans le creux de la main les œufs tout chauds, juste sortis du poulailler, quelquefois pris sous le derrière des poules effarouchées, ou qui gonflaient leurs plumes quand elles s’entêtaient à couver, protestant avec des bruits graves de gorge. Je sens  ces petits volumes parfaits, très lisses, très doux, si durs et si fragiles. Il arrivait d’en trouver qui soient bizarrement tournés,  à la  coquille par place rugueuse, à la pointe noueuse. Des œufs ratés, en quelque sorte, comme si la poule s’était trompée dans la recette.
Les posant un à un sur la table de la cuisine, il y en avait toujours un pour courir sur la toile cirée. Car les œufs ne sont pas faits pour sortir du nid. Rien de plus stupide, de plus malhabile, de plus distrait qu’un oeuf en vadrouille. Qu’il soit debout ou couché, il ne sait pas se tenir, comme pris de vertige, tournant sur lui-même, dévalant la moindre pente. A moins qu’il ne soit tout simplement déterminé. En effet, on jugerait que l’œuf, cette chose aussi pleine, n’a d’attirance que pour le vide. Il y roule avec entrain, s’y jette avec obstination, comme s’il voulait, rompant l’enfermement de sa coquille, s’étaler sur le carreau.

 

 

- Pattes

La poule a quatre doigts, dont l’un qu’elle paraît garder en réserve, comme  on ferait d’un couteau de poche. C’est à marcher qu’elle montre le plus de manières, pour faire oublier sans doute le ridicule d’un vol désastreux. Elle avance, écartant les doigts, les resserre, relevant la patte et laissant pendre ses grands ongles comme si elle venait de poser  une tasse de thé.  Fille de ferme proprette, elle les inspecte parfois, donnant de-ci de-là un petit coup de bec. Elle a des poses étudiées qu’elle prend au ralenti, jeux de pattes et jeux de cou qu’accompagnent des sons de gorge tranquilles, grattant distraitement, et picorant, comme on joue du bout des doigts avec les miettes éparpillées d’une nappe. Du moins, tant que rien n’alarme son insatiable appétit, Car, soit qu’elle ait repéré quelque gourmandise, soit qu’une congénère fasse seulement mine de commencer à s’empiffrer, la poule laisse tomber le paraître encombrant de tant d’élégances affectées. L’œil soudain allumé d’une lueur féroce, comme arrondi d’une idée fixe, toutes accourent, sans ménager à leurs  derrières encombrants les cahots d’une course précipitée, sans grâces, sans civilités, se bousculent, poignardent, s’arrachent la pitance. On dirait  des mégères, à quatre pattes, et montrant leurs gros culs, se disputant je ne sais quoi dans la poussière. 
            C’est que la poule n’est pas aussi raffinée que le laisseraient croire ses bonnes manières, encore moins partageuse. Sur ses pattes,  l’écaille des reptiles luirait au clair de lune, si elle n’allait dormir au chaud du poulailler. Elle charrie dans ses veines le sang d’impitoyables prédateurs, du temps où les oiseaux avaient des têtes impossibles, des queues de serpent, des ailes de vampire, des becs armés de dents.

Photos : Jean-Luc Petit / Site : HeerSpirit